A l’origine de l'action du père Lebret au Liban : les tournées libanaises de 1960

Abstract

Au début des années soixante, le Liban fut souvent associé à des métaphores ou autres entités artificielles symbolisées par l'expression récurrente : la "Suisse du Moyen-Orient", forgée par l'ancien premier ministre belge et expert Paul Van Zeeland. Créations de l'imaginaire plus que réalités structurelles, ces représentations sous-entendaient l'existence d'un prétendu "miracle libanais". Si le Liban connut à partir de l'indépendance une forte croissance et d'importants bouleversements économiques (analyses dans de nombreuses études et sur lesquels nous ne reviendrons pas), le système de la "République marchande" (Gates 1998) ne parvint pas à améliorer les libertés civiles, à bâtir un Etat-nation, ni surtout à réduire les importantes disparités socioculturelles, à la source des tensions sociales (Khalaf 2001 : 72). Ces deux Liban coexistant l'un et l'autre (celui de la prospérité économique et celui des laissés-pour-compte) furent particulièrement pointes du doigt à la fin des années cinquante par le père français Louis-Joseph Lebret. Figure marquante de la présidence de Fouad Chéhab au Liban (1958-1964), ce dominicain, directeur de l'IRFED (Institut de recherche et de formation en vue du développement)" fut appelé en 1959 par les autorités politiques libanaises pour aider à la mise en place d'une politique de développement planifie. Il devint à ce titre le principal conseiller du président libanais durant son mandat. C'est sous cet angle qu'il est souvent présenté dans la bibliographie traitant du chehabisme, mais sa fonction précise est généralement peu développée, l'homme demeurant le plus souvent cantonné au rôle d'expert. La publication en 1983 par Raymond Delprat, son ancien adjoint, d'un fascicule présentant un condense des archives de l'IRFED, fut un tournant dans l'analyse et l'illustration du poids réel de Lebret et de sa mission au sein des autorités libanaises. Elle contribua de plus à replacer les relations entre le dominicain et le Liban dans un cadre plus large, dépassant de loin la stricte période du chehabisme. Des extraits brefs du cahier de Delprat ont été repris dans la thèse de science politique de Nawaf Kabbara sur le chéhabisme en 1988, sans néanmoins consultation directe des archives par l'auteur. Curieusement, les ouvrages traitant du Père Lebret (sa vie, sa pensée et son apport intellectuel) négligent totalement, jusqu'à présent, l'exploitation des sources libanaises du dominicain. Dans la décennie quatre-vingt-dix, quelques travaux universitaires sur l'histoire du Liban furent néanmoins fondés sur un dépouillement systématique de ces archives (Malsagne 1992, 1997) et, récemment, la thèse de géographie d’Éric Verdeil sur la reconstruction de Beyrouth les utilise abondamment (Verdeil 2002).